Chapitre 3: Une nouvelle aube pour oublier le dernier crépuscule.
Le lendemain, la journée se déroula normalement. Pas d’incidents quelconques, rien. Ce plutôt qui était inhabituel ces temps là. Le soir elle rentra chez elle et demanda la permission pour qu’on l’amène chez le libraire le lendemain à 16heures. Les parents, un peux perplexes acceptèrent quand même. Ils l’amèneraient à 16 heures et elle rentrerait seule à 17 heures.
Elisa se tint éveillée toute la nuit, elle pensa à l’homme de hier. Elle se demanda comment il pouvait supporter de vivre aveugle alors que sa passion était de lire… Comment peut-on continuer quand tout vous pousse à arrêter... quand le destin a choisi de vous interdire de vivre, d'exister. Comment faisait-il pour se battre jour après jour contre une fatalité insurmontable... Que ressentait-il à chaque seconde dans ce vide... Elle réfléchit ainsi toute la nuit, jusqu’à ce que le réveil indique 03h10. Là elle ferma les yeux et sombra dans un profond sommeil.
Toute la journée du lendemain elle pensa à cet homme. Son regard l’avait transpercée au plus profond d'elle même... elle avait eu l'impression de ne rien pouvoir cacher, de montre au grand jour toutes ses faiblesses et ses secrets même si elle savait très bien qu’il ne pouvait la voir. Sa voix l’avait déchargée d’un poids inimaginable. Il avait quelque chose de spécial. Il dégageait une lueur, un quelque chose qui la touchait droit dans l'âme. Tout le long des cours elle s’imagina la rencontre, elle s’imagina lui racontant des histoires, de magnifiques livres, des fantaisies ou des poèmes à vous couper le souffle, des recueils à pleurer… Dans la cour de récréation elle restait toujours seule dans un coin et cela lui suffisait. Elle arrivait à supporter quelques heures par jour tant qu’elle savait que le soir elle écrirait…
Puis vint enfin le moment tant attendu. La mère de la famille la déposa devant la petite boutique. Elisa sentit une bouffée d’excitation l’envahir… Elle descendit de la voiture et entra. Le carillon tinta comme la première fois. Elle regarda devant elle, l’homme était assis dans un fauteuil. Sans aucune hésitation Elisa le rejoignit :
« - Bonjour… Je suis là. Vous allez bien monsieur…
- Thomas… Thomas Blake. Désolé. Et vous mademoiselle ? Puis-je connaître votre prénom ?
- Oui bien sûr. Elisa. Elisa tout court suffira.
- D’accord. Venez seulement dans l’arrière-boutique. »
Elle le suivit et observa qu’il tâtonnait à l’aide de sa canne autour de lui. Tous deux arrivèrent dans un petit salon au milieu d’une multitude de livre. Il s’assit sur le canapé et lui indiqua le siège en face :
« - Voilà, souffla-t-il. Le livre que j’aimerais que tu lises devrait se trouver sur la petite table. »
Elisa se pencha et observa le livre. Recueil de contes tibétains. Elle ouvrit le livre et tourna les pages. Elle jeta un regard en direction du vieil homme puis retourna à l’histoire. Elle commença à lire. L’histoire racontait celle d’un homme pauvre et malade qui rencontra une femme muette. Elle était splendide mais ne parlait pas aux hommes. D’après une vieille légende elle avait trop souffert des hommes dans ses vies antérieurs… L’homme qui parviendrait à lui faire sortir un mot de la bouche deviendrait souverain du pays du soleil couchant. Après plusieurs tentatives des dizaines de prétendants ne parvinrent toujours pas à la faire parler. Puis un jour, évidemment, le pauvre homme vint chez elle. Il a regarda dans les yeux et lui rappela toutes ses vie antérieures. Lorsqu’elle était renard, oiseau, vache. Toutes ces fois il avait essayé de la courtiser mais elle était toujours partie pour un autre. La jeune femme contempla alors le pauvre avec des yeux étonnés et en larmes… Puis elle dit alors ces mots : « Tu ne t’es jamais lassé de ton amour envers moi. Tu as tenu bon tout ce temps. Tu es un homme bon. » Et le pauvre fut alors sacré souverain et la jeune et belle fille, sa femme. Malheureusement un jour la femme, qui se promenait sur la montagne, tomba dans un précipice et mourut. L’homme pris de désespoir et atteint par la folie monta sur la montagne, se plaça au-dessus de la falaise et attendit le soleil couchant avant de prononcer: « nous nous retrouverons encore une fois » et de sauter…
Elisa leva les yeux. C’était la fin du premier recueil. Le Tibet, quel beau pays cela devait être se dit-elle… L’homme prit soudain la parole :
« - C’était splendide, murmura-t-il. Cela faisait longtemps que je n’avais pas voyagé aussi loin. Tu as ce don. Celui d’emporter les gens si loin qu’ils en oublient toutes leur souffrances…
- Merci, souffla Elisa. C’est surtout l’histoire qui était magnifique. Quelle écriture, quelle description des paysages, quel infini de beauté pouvons-nous voir à travers ces lignes. C’était époustouflant…
- Elisa? demanda l’homme.
- Oui, répondit celle-ci. Que se passe-t-il ?
- Il faut que je t’avoue quelque chose… je crois que tu as déjà croisé mon fils l’autre jour, Luca. C’était le garçon brun qui t’a bousculée dans la rue. Excuse-le il est un peu distrait ces temps.
- Oh c’était votre fils ! D’accord… et donc… votre femme habite aussi ici ?
- Non elle est morte quand Luca avait onze ans. Cela fait donc cinq ans qu’elle nous a quittés.
- Vraiment désolée…
- Ne sois pas désolée tu as vécu pire n’est-ce pas ? J’ai entendu par le bouche à oreille ce qui t’était arrivé. Tu es forte Elisa. Tu as beaucoup de courage. Tu traverses une épreuve redoutable. Ne laisse jamais tomber. Ne crois pas qu’il n’y a plus rien en oubliant tout ce qu’il te reste…
- … En tout cas je ne regrette pas d’avoir lu ce recueil.
- Moi je ne regrette pas de l’avoir écouté ! Elisa, encore une dernière chose… Il faut que tu me promettes de ne pas avoir peur et de me faire confiance juste quelques instants. D’accord.
- Oui. Que se passe-t-il ?
- Dis-moi si je me trompe… Tu veux vivre une autre vie n’est-ce pas ? Eh bien, j’ai peut-être une solution. Mais pour ça il va falloir que tu te reconstruises, que tu partes, très loin.
- Quelle est cette solution ? demanda Elisa très intriguée.
- Mon fils va voyager jusqu’aux Etats-Unis. Il va aider une « association » si l’on veut bien… En tout cas il part. Ta seule chance de retrouver une nouvelle vie c’est de partir avec lui. Je sais parfaitement ce que c’est de perdre la seule chose à laquelle on s’accrochait désespérément pour survivre. J’aurais dû faire cela il y a cinq ans… Ma fois c’est aussi très difficile d’accepter le fait que le seul moyen de ne pas sombrer c’est de s’en aller. »
Elisa en resta bouche bée. Partir ? Aux Etats-Unis ? Le pays de toutes les espérances, là où rien n’est impossible, là où tout le monde à ses chances ? L’idée lui paraissait absurde mais dans un coin de son esprit, où l’imagination se trouvait, il n’y avait pas de place pour l’absurde. Tout était possible…
« - Mais je n’ai pas d’argent, ni de passeport, dit-elle.
- Ne t’inquiète pas pour cela. Tu veux partir ou pas ?
- … Peut-être.
- Très bien alors si tu le veux, viens demain matin à 4heures ici. Prends juste un sac à dos avec simplement ce qu’il te faut.
- D’accord.
- Très bien alors à demainpeut-être...
- Oui… »
Elisa sortit du magasin. Elle n’en revenait pas… Qu’allait-elle faire ? Qu’est-ce que le gens diraient si plus personne ne la trouvait ? Ils s’en ficheraient sûrement… Tout le monde s’en fichait… Qui se soucierait d'elle? Elle ne vaut plus rien sans ses rêves... sa vie est tellement inutile maintenant que plus personne ne s'en préoccupe...
Une fois rentrée, elle ne passa même pas dire bonjour. Elle s’enferma dans sa chambre, s’allongea et réfléchit. Qu’avait-elle de concret à perdre ? Est-ce que cela lui permettrai de prendre un nouveau départ ? Est-ce qu’elle apprendrait à vivre avec ? Aurait-elle moins mal ? Arriverait elle à se faire à l’absence, à cesser de pleurer dès qu’elle y pensait, à cesser de se faire du mal en regrettant ? Trouverait-elle seulement la force d’oublier ? Elle pensa, longuement, longtemps. Cette nuit l’obséda, elle ne parvint pas à dormir et le réveil la maintint debout chaque minutes qui passait. Ses pensées imaginèrent sa nouvelle vie. Elle s’imagina déjà, arrivant dans le pays à la folie des grandeurs. Elle avait toujours voulu y aller. Et maintenant qu’elle en avait l’opportunité allait-elle refuser ? Qu’est-ce que ses parents auraient souhaité ? Ils auraient voulu qu’elle refasse sa vie, qu’elle voie le monde, d’autres couleurs que le gris de son existence monotone. Elle le savait, ils auraient voulu qu’elle prenne les choses en main, qu’elle ne se laisse pas abattre…
Elle leva son regard et perçu la pluie au-dehors. Elle frappait fort contre les vitres. On aurait pu croire à des applaudissements. Le vent soufflait si fort. On ne voyait presque rien. Il était 3heures et demie du matinet Elisa s’assit sur le bord de son lit, posa ses pieds nus sur le sol froid. Elle les contempla un instant tout en réfléchissant. Puis elle se leva, s’habilla, pris son sac à dos, y enfila la photo de ses parents, des habits, un peu de l’argent qui lui restait, son cahier, sa plume et elle passa la porte. Sans jeter un seul regard derrière soi. Elle avait même laissé un mot disant que tout allait bien, qu’elle ne supportait juste plus le silence et qu’elle partait exister…